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Le Clézio et le Prix Nobel

C’est certainement de ma faute, mais, Procès verbal ou Quarantaine, je ne suis jamais parvenu à aller au bout d’un roman de Le Clézio. Je n’ai même aucun souvenir de rien, sinon, très vaguement, qu’il était question de Rimbaud, à un moment, dans La Quarantaine.

Mais ce qu’il y a de rudement bien, avec son Prix Nobel, c’est que :

écrivain pour écrivain,

aventurier pour aventurier,

exotisme pour exotisme,

génération perdue pour génération perdue

et Prix Nobel pour Prix Nobel,

il me donne vachement envie de relire Hemingway, l’émerveillement de mes quinze ans avec Pour qui sonne le glas ? ou, bien mieux encore, lu dix ans plus tard, ce roman sudiste, crépusculaire, dans une Venise glacée balayée par les vents, Au-delà du fleuve et sous les arbres, que la critique américaine d’alors assassina gaîment. Ah, le colonel Cantwell, et son chauffeur Jackson – oui, comme le général confédéré dont les ultimes paroles donnèrent son titre au roman –, et la comtesse Renata…

 

Hemingway en Normandie, juin 1944.jpg

 

Quelques semaines plus tôt, il avait traversé Fossalta et il avait cherché, le long de la route en contrebas, le coin où il avait été blessé, sur la rive. Ce n’était pas difficile à retrouver, car la rivière y faisait un coude, et là où ils avaient installé leur mitrailleuse lourde, l’herbe avait poussé, tapissant l’entonnoir. Les moutons ou les chèvres avaient si bien tondu le gazon qu’on aurait dit un creux conçu et dessiné pour un terrain de golf. La rivière était d’un bleu de vase à cet endroit et elle coulait lentement entre les rangées de roseaux ; personne n’étant en vue, le colonel s’était accroupi et, regardant l’autre rive, de cette berge où jadis, en plein jour, on n’aurait pu montrer sa tête, il s’était soulagé, exactement au point trigonométrique où, trente ans plus tôt, il avait été grièvement blessé.

– Ce n’est pas brillant, avait-il dit tout haut à la rivière et à la berge, lourdes de silence et du poids des pluies automnales. Mais c’est de moi.

Il s’était redressé et avait regardé autour de lui. Personne n’était en vue et il avait laissé sa voiture en contrebas devant la dernière maison reconstruite de Fossalta, qui était aussi la plus triste.

– Et maintenant, achevons le monument, avait-il dit, parlant cette fois aux morts.

Et il avait tiré de sa poche un vieux couteau à cran d’arrêt, un Solingen, comme en ont les braconniers en Allemagne. Le déclic joua et, d’un tour de poignet, il creusa un trou bien net dans la terre humide. Il essuya la lame sur son brodequin droit. Ensuite, il avait fourré un billet de mille lires dans le trou, qu’il avait rebouché et recouvert avec la petite motte d’herbe découpée.

– Voilà ; vingt ans à cinq cents lires par an pour la Medaglia d’Argento al Valore Militare, le compte y est. La Victoria Cross, c’est dix guinées, je crois. La Distinguished Service Cross, rendement zéro. La Silver Star, c’est gratis. Je garde la monnaie, avait-il dit.

C’est au poil, maintenant, s’était –il dit. Tout y est : la merde, l’argent, le sang ; regarde un peu comme l’herbe pousse ; et il y a aussi la ferraille, la jambe de Gino, les deux jambes de Randolfo et ma rotule droite. Ça c’est un beau monument ! Rien n’y manque. Engrais, argent, sang et fer. On dirait une nation. Quand il y a engrais, argent, sang et fer, il y a patrie. Il manque encore le charbon. Il nous faudrait absolument un peu de charbon.

 

Hemingway, Au-delà du fleuve et sous les arbres, chap. III  

 

 

Hemingway2.jpg

 

 

 

Commentaires

  • Belle gueule, sur cette photo !

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