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Génie de Molière (en passant)

(…)

DOM JUAN. – Tu te moques : un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer d’être bien dans ses affaires.

LE PAUVRE. – Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n’ai pas un morceau de pain à me mettre sous les dents.

DOM JUAN. – Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah, ah ! je m’en vais te donner un louis d’or tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer.

LE PAUVRE. – Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?

DOM JUAN. – Tu n’as qu’à voir su tu veux gagner un louis d’or ou non. En voici un que je te donne, si tu jures ; tiens, il faut jurer.

LE PAUVRE. – Monsieur !

DOM JUAN. – A moins de cela, tu ne l’auras pas.

SGANARELLE. – Va, va, jure un peu, il n’y a pas de mal.

DOM JUAN. – Prends, le voilà ; prends, te dis-je, mais jure donc.

LE PAUVRE. – Non, monsieur, j’aime mieux mourir de faim.

DOM JUAN. – Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité. (…)

 

Molière, Dom Juan, acte III, scène 2.

 

Molière à 35 ans, par Roland Lefèbvre.jpg

 

Pas moins que les fustigations complémentaires des femmes savantes, ou encore des précieuses ridicules, et de ce cochon d’Arnolphe, la scène où Dom Juan ordonne au mendiant de jurer aurait dû suffire à faire comprendre, après qu’il avait moqué Tartuffe et qu’il aura moqué Alceste, que Molière, loin de chercher à insulter vraiment qui que ce soit, loin aussi de s’engouffrer dans un quelconque parti, tenait simplement, ainsi que René Girard le dit de la Passion du Christ controversée de Mel Gibson (1), « la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social », vérité qui, même sans mentir, tant la question de la sincérité est une bulle de néant, ne peut pas être dite – le principe conflictuel propre au théâtre laissant seulement s’exprimer, dans la dimension même du dialogue, tout ce qui précisément n’est pas elle ; toutes choses que ne contredit pas, bien au contraire, la remarque fameuse de La Flèche, adressée sans doute à la totalité dans la suite des temps des avares dans l’ordre de l’esprit : « Qui se sent morveux, qu’il se mouche. »

On s’est beaucoup mouché, en effet, dans les « papiers » (2) de Monsieur de Molière ; c’est sa gloire – notons que seules l’instrumentalisation et l’incompréhension, en dépit qu’on en ait, lui assurent aujourd’hui encore sa grande renommée. 

 

 

(1) J’ai trouvé très amusant, dans un billet d'exactement deux phrases sur Molière, de glisser en surplus de celui de Girard le nom de Mel Gibson.

(2) On ne dispose d’aucune ligne autographe de Molière. Certaines personnes sérieuses imputent à Corneille la paternité des quatorze pièces en vers et de deux en prose (Dom Juan et L’Avare). L’hypothèse, vraie ou pas, est de toute façon intéressante ; et pour qui s’intéresse aux œuvres plus qu’aux biographies, elle suppose autant que l’inverse que Molière ait écrit tout Corneille ; et invite au moins à les relire ensemble.

 

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