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Monde ancien (petit passage chez Guillaume Apollinaire)

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– Ont succédé à la grandeur mythique du service et de l’humilité, les bassesses concurrentes de la servilité et de l’humiliation. Cela sépare le monde ancien du monde moderne, le monde sous Dieu du monde du que dalle incessamment renouvelé.

C’est ce que j’ai balancé comme ça, ce matin, au petit déjeuner.

– D’un autre côté, le monde moderne a commencé il y a bien longtemps déjà d’être vieux. Peut-être même est-il né vieux. C’est peut-être cela que voulait dire Apollinaire…

Silence consterné de la cafetière. Je suis sorti fumer une cigarette. Avec un vieux Pléiade.

Je pensais au début de « Zone », le premier poème du (mal plutôt que trop) célèbre Alcools.

 

 

 

A la fin tu es las de ce monde ancien

 

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

 

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

 

Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes

La religion seule est restée toute neuve la religion

Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

 

Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme

L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X

Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux

Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières

Portraits des grands hommes et mille titres divers

 

 

Rien de cela n’a vieilli (c’est bien plutôt notre regard sur ces choses qui a vieilli). Le poème est de 1912…

Si ce poète immense avait survécu un peu davantage à la Grande Guerre, Breton et ses sbires n’eussent pas pu lui voler tout, et tout pourrir, à commencer d’ailleurs par le trop fameux substantif qu’il avait inventé pour expliquer son drame (patriotique et incitant les gens à repeupler la France) Les Mamelles de Tirésias : « surréalisme ».

 

 

« Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue, qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir. »

 

 

Mais Apollinaire mourut vite. Et Breton vint, pour lui piller son œuvre et interdire à ses ouailles le théâtre (premier accès totalitaire de haine du théâtre au vingtième siècle – de la part d’un artiste ou prétendu tel, du moins).

 

J’avoue essayer d’imaginer parfois, mais sans du tout y parvenir, à quoi aurait pu ressembler, à quoi pourrait ressembler une conversation entre Guillaume Apollinaire et Charles Péguy…

 

Et moi qui ne suis guère féru de poésie, je trouve chez Apollinaire une fluidité claire, cette liberté que je ne trouve presque nulle part ailleurs : l’idée peut-être qu’écrire un poème n’est pas une chose grave.

 

Une chose encore. (Voilà à quoi mène de balancer des âneries dès le petit déjeuner.) Deux vers, venus de «  L’Adieu du Cavalier », tiré des Calligrammes, dont le seul premier est plus que rabâché :

 

 

Ah Dieu ! que la guerre est jolie

Avec ses chants ses longs loisirs

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