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Attention ! Une transparence peut en cacher mille autres...

– La transparence, c’est ce qui cache le cancer.

Disait François Mitterrand.

Il ne l’a peut-être pas dit, certes. Mais je tiens ici qu’il l’a dit.

– Et pas seulement le mien.

Ajoutait-il, roué.

 

Il faut dire que François Mitterrand a beaucoup vécu sur le mythe étrange qu’il aurait pu être écrivain. Et grand écrivain, donc… Il y a des gens qui m’en parlent encore, l’admiration bavant aux commissures.

Pourtant, dans la réalité, c’est Charles de Gaulle qu’on peut lire en Pléiade.

Transparence, quand tu nous tiens.

 

Avant la transparence, l’Etat ne se sentait pas tenu de dire tout ce qu’il faisait.

Depuis la transparence, l’Etat est tenu de dire tout autre chose que ce qu’il fait.

L’Etat cachait des choses ; désormais il ment, et plus exactement peut-être : il parle à côté, de plus en plus à côté, déjà très loin d’à côté, sans plus aucun rapport avec la réalité de ce dont il parle, etc.

L’Etat bien sûr a toujours menti ; mais il ne mentait que sur ce qui ne pouvait pas ne pas se savoir. Et il parlait juste à côté : il trichait. Et trichait pour gagner. Tricher pour gagner, cela demande une connaissance précise de la réalité du jeu des partenaires, des adversaires.

Il y a toujours eu du secret, du secret d’Etat, du secret-défense, même. Avant la transparence. Et heureusement. Mais depuis la transparence, pour conserver le secret, il faut inventer de toutes pièces une autre histoire – celle là même qu’on lui livre –, une histoire qui n’a plus aucun lien à la réalité. Et cette histoire-là, il va falloir la maintenir dans le temps, lui faire servir de base aux suivantes, lesquelles vont s’empiler là, etc.

Maintenant, l’Etat ment, communique si vous préférez, sur un empilement délirant de mensonges. Il ne peut pas se permettre de revenir en arrière. (Précisément, il ne s’agit même plus d’affabulation, il ne s’agit plus d’arranger à sa façon la réalité.) Alors les mensonges accumulés deviennent un discours officiel complètement déviant (et non pas parallèle, ce qui signifierait qu’il reste à même distance toujours de la réalité), un discours bouclé sur lui-même, un discours duquel on ne peut pas sortir sous peine d’effondrer tout l’édifice. Un discours de plus en plus éloigné de la réalité, de toute réalité, et qui surtout n’y a plus accès. Le moindre accès, même accidentel, à la réalité effondrerait tout le langage de l’Etat.

La transparence est le délire paranoïaque de l’Etat.

 

On me dira que l’exercice du pouvoir a toujours demandé quelques vertus de raisonnement paranoïaque ; et que la désinformation a toujours existé. Bien sûr. Mais je dis en somme ici que justement, ce sont ces choses-là qui ont disparu : l’exercice paranoïaque ne consiste plus à calculer dans le langage l’écart le plus judicieux entre la réalité et le discours sur elle : il a perdu la raison quand il n’a plus eu en vue les rives de la réalité ; quant à la désinformation, il fallait bien, pour qu’elle fût, qu’elle se glissât entre d’autres informations entretenant à la réalité un rapport calculé de discours.

Il n’est pas question ici de nier, on le voit, l’existence toujours d’un écart entre discours et réalité : il est seulement question de dire que cet écart est immense et va croissant, parce que l’accumulation de discours s’écartant toujours davantage de la réalité a perdu de vue celle-ci.

 

Fleurissent donc également, de plus en plus, en marge du discours officiel, d’autres discours paranoïaques. Ils sont le produit de gens qui, trouvant le discours officiel fou, décident de retrouver la réalité. Mais comme ils n’ont aucun moyen rationnel de retrouver la réalité occultée, opacifiée par toutes ces couches de transparence délirante, ils finissent par décider de ce qu’elle serait devenue. Ce qui donne ordinairement n’importe quoi. Du complot, paranoïa contre paranoïa, au n’importe quoi idéologique, utopique, lui aussi définitivement déconnecté de toute réalité.

Mais le discours officiel de transparence est parvenu à un point de délire tel qu’il ne sent plus la moindre nécessité de réfuter (au nom de quoi, d’ailleurs ?) ces discours marginaux : il lui est en effet beaucoup plus simple de les intégrer directement à son discours.

 

La transparence paranoïaque est en expansion carcinomique.

Le cancer a gagné la transparence.

La transparence ne sert donc pas, ou plus, seulement à cacher le cancer. Elle sert surtout à cacher qu’elle est elle-même le cancer.

Le cancer de la transparence a notamment permis de transformer le vieux régime politique clos de la démocratie en processus ouvert de démocratisation permanente. Voilà un bel exemple d’expansion carcinomique de la démocratie cancerisée.

Le nombre de délirants, de transparents, évidemment, augmente à mesure.

 

Le délire de l’actuel Président de la République, par exemple, n’est pas en lui-même aussi intéressant que le nombre et l’ampleur de ceux qu’il provoque chez ses partisans comme chez ses détracteurs (journalistes inclus). Délires politico-médiatiques dont il (le délire de l’actuel Président) va devoir tenir compte, et auxquels il va répondre…

Le délire engendre le délire.

 

Ainsi est-il devenu parfaitement démocratique de dire n’importe quoi.

Peut-être même n’est-il plus possible, par temps de démocratisation carcinomique, que de dire n’importe quoi.   

C’est le genre de folie qui indifférencie tout au nom des différences, et de leur respect.

 

Un seul exemple, en forme de boutade :

Au nom du respect des différences, l’idéologie de l’indifférenciation sexuelle voudrait qu’il n’y ait plus de différences entre un père et une mère, ce qui devrait permettre d’ouvrir le mariage et conséquemment la « parentalité » (mot récent, issu directement du délire) à toutes sortes de couples – et pourquoi pas, tant qu’on y est, à des couples de trois, de cinq, de neuf, dont un transsexuel, une chèvre et une divinité aztèque disparue ?...

Et en effet, il n’y a déjà plus réellement ni père ni mère, mais en quelque sorte des trans-parents.

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