Il est étrange, sans doute, de ne plus habiter la terre;
de ne plus suivre ces coutumes, qu'on vient d'apprendre à peine;
et de ne donner plus aux roses, à d'autres choses en promesse,
la signification du devenir humain; de n'être plus
ce qu'on avait été dans l'angoisse infinie des mains,
et puis d'abandonner jusqu'à son propre nom, tel un jouet brisé.
Etrange, de ne plus désirer les désirs. Etrange,
de voir tout ce des rapports tenaient lié ensemble,
flottant si librement dans l'espace. Etre mort
est un état pénible et plein de recommencements,
jusqu'à ce qu'on parvienne et qu'on pénètre un peu
l'éternité. Mais les vivants, tous commettent la faute
de faire trop grandes leurs différences.
Les Anges (dit-on) souvent ne savent pas s'ils passent
parmi des vivants ou des morts. Le courant de l'éternité
à travers les deux règnes entraîne tous les âges
avec soi, toujours, et les confond chacun.
Rilke, Elegies de Duino
Extrait de la première Elégie, traduction d'Armel Guerne