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Loin

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Le nombre de gens, dès que vous avez accès à une bribe de leur intimité, qui reviennent de loin, disent qu’ils reviennent de loin, font comprendre qu’ils reviennent de loin ou font comme si. On croirait que tout le monde revient d’une guerre que personne n’a faite. On a l’impression que la guerre qu’ils ont manqué, puisqu’il n’y en a pas, leur manque tellement qu’ils se font croire, qu’ils ont besoin de se faire croire qu’ils l’ont faite et qu’ils en sont revenus. Comme ils ne sont pas fous, au fond, et qu’ils voient bien qu’il n’y a pas franchement de guerre hormis la paix grise et dégueulasse qui bruine sa merdasse sur nos gueules, ils s’inventent des guerres privées – des cataclysmes microscopiques, des tchernobyls psychomécouilles – auxquelles ils peuvent se faire croire en toute bonne foi, guerres privées qu’ils n’ont pas vraiment faites non plus d’ailleurs, mais subies, et qui ont bien failli les avoir tout à fait, mais dont ils sont revenus, par on ne sait quelle prouesse psychique, par je ne sais quel sursaut. Le monde est plein de gens qui reviennent de loin sans avoir jamais goûté d’autre sable que celui des plages où ils ont bronzé en été, ils ont chacun survécu à leur bourbier de merde et sans se déplacer le moins du monde sont revenus à cet endroit qu’ils n’ont jamais quitté. Alors si par bonheur je pouvais être loin d’eux, je crois que de ce loin-là je ne voudrais pas revenir, je voudrais y rester. Ou bien, après tout, pourquoi les accuser, ces autres que sont les autres, de mensonge ou de mythomanie ? Ces guerres infra existent peut-être après tout, elles ont réellement lieu, comme une seule et interminable grande guerre atomisée, disséminée dans des histoires singulières d’une banalité à hurler de démence, et le mensonge consiste seulement à se faire croire qu’on en revient, qu’on en est revenu, sur le point d’en revenir, que les blessures cicatrisent, sont sur le point de cicatriser, comme si on y pouvait quelque chose, comme si on en avait appris quelque chose. Il est bien plus probable, à voir l’état des corps dopés au stress comme s’il était une pauvre amphétamine de guerre injectée de force à des guignols d’avance rayés des stats, passés par profits et pertes dès fourgués sur les marchés du sexe et du travail (dans l’ordre chronologique), marchandises humaines dérisoires écrabouillées entre valeur d’usage et valeur d’échange, à peine capable d’évaluer lucidement leur propre prix et ignorant avoir commencé de se déprécier dès qu’elles ont accepté même à contre-cœur de simplement s’auto-évaluer, et la façon délirante, folle, cinglante et cinglée dont le désir affranchi de presque tout s’est mis à centripéter grave, tout-puissant jusqu’à la débilité absolue, que personne n’en sortira vivant, vraiment vivant, avec la claire conscience de ce qu’il est, que des populations entières marchent en enfants perdus – selon la belle expression des soldats – mais sans la moindre conscience de marcher au feu et dans l’illusion sans cesse entretenue de pouvoir accéder à je ne sais quel bonheur en merde. Même en restant loin, aussi loin que l’on peut – et l’on peut peu – nos fondrières sont les mêmes... Et de toute façon, de toute façon… eh bien, de toute façon, quoi, merde.

 

 

 

 

 

 

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