Ce que c’est que l’amitié, tout de même.
– Tu sais que tu ne peux pas faire ça. Il y a des conséquences. Tu n’as pas peur ou tu ne te rends pas compte ? Ou les deux ? Ça t’embêterait qu’on te tombe dessus pour ça mais au fond, tu n’en as encore plus rien à foutre que ça ne t’embêtera. C’est seulement quand les emmerdes seront maousses, quand il sera trop tard quoi, que tu te demanderas si tu n’as pas fait une putain de connerie. Tu dis qu’on ne peut plus rien dire et tu parles comme si on pouvait encore dire. C’est idiot. Tu es complètement à découvert en plein dans le champ de tir, mon pauvre garçon, et tu vas t’étonner de récolter les pruneaux. « Putain, les mecs, je déco… », fin du film, enfin pour toi. Je sais ce que tu te dis en ce moment dans ta barbe de semi-clochard à deux balles, « elle me fait chier cette connasse, c’est pas ma mère merde », mais je vais te dire, petit bonhomme grossier, je vais te dire, le système est là pour te protéger de toi, c’est une mère lui aussi, tu vois, parce qu’enfin c’est tellement gros ton truc que personne n’en voudra, personne ne le sortira et ainsi, mon pauvre ami, il ne t’arrivera rien du tout. Voilà, il ne t’arrivera rien du tout parce que tu n’existeras même pas. Putain, tu n’avais qu’à ne presque rien dire et tout serait allé comme sur des roulettes, mais non, il a fallu que tu t’effaces, il a fallu que tu te planques derrière des choses trop grosses pour toi, des agencements qui ne peuvent guère qu’amener une réponse, une réponse lourde, putain, tu ne pouvais donc pas raconter comme tout le monde ta vie de merde absolument normale et dire des trucs dont le monde se branle et qui ne demandent aucune réponse de personne, il a fallu que tu disparaisses et que tu donnes à tout ça des proportions cosmiques, métaphysiques, religieuses même, alors qu’on ne te demande en somme que de tartiner ton moi parce que là est ton néant et que ça au moins c’est rassurant, c’est banal, c’est le rien qu’il nous faut et que ça se vend, bordel, ça se vend. Pauvre type. Et tu vas t’étonner, faire le candide, sortir la machine menteuse à se plaindre, et débiner tout le discours sur ce qui fait qu’on ne veut pas de toi, pauvre chéri, alors que tu n’es même pas capable de tirer les conséquences du fait que c’est toi, et juste toi, ton toi en hyperbole jusque dans sa disparition, son effacement, qui ne veux pas d’eux, oui, c’est toi qui les rejettes, les méprises, les massacres, et qui viens pleurnicher ensuite qu’on ne te donne pas ta chance et que le monde est mal fait, c’est vraiment trop injuste. Tu es un raté parce que tu veux être un raté, tu veux rater même le ratage généralisé, institué, mondé, te mettre en marge de la merde désormais normée, et te plaindre en plus de n’être pas dedans, de n’être pas accepté par cela que toi-même tu n’acceptes pas mais conchies. Tu veux pouvoir te plaindre de n’être pas de ces mondanités auxquelles tu ne serais pas allé si on t’y avait convié. Et peut-être tu as raison. Et peut-être tu fais bien de ne pas vouloir tremper dans ce tas de merde. Peut-être. Mais alors cesse de chialer que tu n’y es pas, qu’on ne veut pas de toi ; cesse de te plaindre de n’être pas reconnu par des gens que tu ne reconnais pas, d’être ignoré par des gens que tu méprises, tiens-toi debout seul, reste dans ton coin, ferme ta gueule. Parce quoi ? Tu rêves au fond de ton martyre en technicolor pauvre cul, et comme bien sûr on t’en privera en amont, pour ainsi dire en silence et dans l’obscurité, tu râles dans ton coin, tu objurgues et déblatères ; et ton masochisme propre, il ne t’apparaît pas, hein ? Tu cherches les coups et tu voudrais les prendre en grand, au vu et au su de tout le monde, mais en fait quoi, tu écopes juste d’un coup de latte dans les burnes dans la cour de récré et tu vas pleurer dans les jupes de tes mères. Alors, elle te plaît, Ducon, ma lettre-type ? Et d’abord, merde, tu pourrais dire bonjour quand tu arrives à la bourre. Bon, sérieux, tu bois quoi, tête de bite ?
– Je ne sais pas, ma poule. Du champagne, c’est bien, non ?