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Banalités

 

 

 

 

 

 

Souvent – parfois ne serait pas assez –, marchant au hasard de la ville et de ses rues, des bribes de dialogues, étrangement désarrimées de toutes personnes, personnages ou même visages, flottent dans ma tête. (Peut-être que j’entends leurs voix, ou bien leur prête mentalement la mienne ; quoiqu’il me semble parfois songer à des voix féminines… Non, je ne suis pas cinglé, merci.)

Celle-ci, par exemple, l’autre jour :

– Il faudrait lui briser les reins, pour qu’il s’agenouille.

– Oui. Ou l’en prier.

Voix masculines, ici. Et c’est tout. Je ressasse en marchant, sans autre but qu’elles-mêmes, ces petites phrases, songeant à la brièveté la plus grande, la place d’une virgule. Et je le redis, la question de savoir qui parle ne m’effleure pas.

Ces phrases, en général, je les oublie. L’idée ne me vient pas de les colliger, et bientôt pfuit.

Celles-ci toutefois me sont restées. Approchant de mon domicile, au lieu d’être en quelque sorte dans ces phrases, je me suis brusquement demandé si une situation les avait provoquées, et si oui, laquelle. Et je me suis mis à refaire mentalement le chemin que j’étais en train de terminer.

Il m’est apparu qu’à un moment, en effet, j’avais marché derrière un monsieur assez âgé, cheveux tout blancs, mais fort robuste, trapu, petite taille et hanches larges de paysan, vêtu d’un costume bleu marine. Une sorte de colosse discret. Eh bien, donc, j’ai suivi quelque temps, parce que son chemin était le mien, ce monsieur. Quand il a tourné pour entrer dans l’église, comme je n’étais pas vraiment pressé, la même envie m’est venue. Je ne me suis pas dit que j’allais le suivre, non, l’idée m’est venue, à moi aussi, d’entrer dans cette église devant laquelle je passe presque chaque jour et dans laquelle je ne me souviens pas être jamais entré auparavant. C’est un petit phénomène mimétique. Dans l’église, le monsieur est allé droit au bénitier et a fait le signe de croix. Puis je me suis désintéressé de lui. J’ai regardé les vitraux banals, les sculptures banales, la croix banale, toutes ces choses d’église banale qui font de ce lieu une sorte de havre de paix, ou d’asile, la chose en somme la moins banale qui soit aujourd’hui. Bref, j’ai fait le tour de l’église en deux ou trois minutes, puis je suis sorti et j’ai repris ma route.

Il faisait toujours aussi beau, je marchais au soleil pour aller prendre mon café en fumant à la terrasse à côté de chez moi. C’est à ce moment-là, sans doute, que j’ai commencé à former ce petit dialogue inepte.

Peut-être aussi, sortant de l’église, ai-je aperçu, dans une chapelle latérale, ce vieux monsieur à genoux, et priant. Je ne prêtais déjà plus attention à lui. Mais peut-être pas.

Peut-être ai-je en marchant vers ce café près de mon domicile, une fois le dialogue de ces deux voix achevé et afin de lui trouver une origine, imaginé toute cette histoire d’un vieux monsieur que j’aurais suivi, avec plus ou moins de conscience de le suivre.

Je ne suis plus très sûr. Quoiqu’il en soit, un peu d’exercice ne fait pas de mal. C’est ce que je me suis dit en sortant mes cigarettes, au moment de m’asseoir à la terrasse et de commander un café.

Puis j’ai sorti de ma veste un papier et un crayon et j’ai noté :

– Il faudrait lui briser les reins, pour qu’il s’agenouille.

– Oui. Ou l’en prier.

Et je me suis demandé ce que ces phrases pouvaient bien vouloir dire ; et quelle histoire leur pourrait faire écrin. Je me suis perdu dans des spéculations bizarres. Je n’ai toujours aucune idée de qui parle.

Puis ma voisine, assez jolie d’ailleurs dans sa tenue estivale, m’a demandé du feu et j’ai cessé de penser à tout ça – quand j’ai allumé sa cigarette, pour préserver de la brise la flamme ses mains ont entouré la mienne, et cet instant de contact, une fois de plus, m’a surpris. J’ai fourré papier et crayon dans la poche de ma veste et j’ai bu mon café en fumant au soleil, impeccablement seul.

Commentaires

  • C'est vraiment très bien.

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